Variations Goldberg
Programme 1
J. S. Bach – Goldberg Variations BWV 988
Programme 2
J. S. Bach – Goldberg Variations BWV 988 & Œuvres contemporaines
Une touche d’air
Texte de Michel Petrossian
De nos jours, il est rare qu’une approche inédite renouvelle notre écoute d’une œuvre célèbre. Lorsque cela se produit, c’est presque toujours grâce à un retour en arrière : instruments d’époque, tempéraments d’antan, traités musicaux redécouverts… Fanny Vicens a fait le chemin inverse.
Elle a l’audace de nous proposer les Variations Goldberg sur un instrument postérieur de plus d’un siècle à l’écriture de l’œuvre. Pourtant, il ne s’agit pas là d’une adaptation mais d’un transfert, d’une translittération qui reste entièrement fidèle au texte. La musicienne se situe sur un chemin en miroir : l’œuvre agit comme révélateur de l’instrument, et la nature de l’instrument épouse l’intention de l’auteur qui écrit explicitement pour un clavecin à deux claviers. Cette précision est rendue nécessaire en raison de fréquentes superpositions et croisements des mains, et l’interprétation à l’accordéon, avec ses claviers stéréophoniques, révèle une réalité sonore spatialisée contenue dans l’écriture contrapuntique de Bach.
Le parcours de Fanny Vicens nous éclaire par ailleurs sur deux modalités de perception qui sont activées chez elle en permanence. Pianiste accomplie, c’est en tant qu’accordéoniste qu’elle suit des cours d'interprétation historiquement informée de la musique baroque. Deux concepts de son, antinomiques malgré le principe commun du clavier qui les régit, habitent simultanément l’espace imaginaire de cette musicienne singulière. Le son du piano, fait d’attaque et de résonance qui échappe à l’interprète est placé en vis-à-vis avec la plasticité de l’accordéon qui offre au son la possibilité d’être modulé (ou enflé, comme Couperin l’appelle de ses vœux !).
C’est cette complémentarité, cette tension de deux désirs que l’enregistrement de Fanny Vicens résout ici.
Il en résulte une conduite des voix incomparable, une transparence des plans sonores et une qualité expressive grâce à la variation continue de l'intensité. Cette dernière dimension hantait manifestement Glenn Gould dans ses fameuses versions. Sa façon de chantonner est précisément une manière d'exprimer la variation d'intensité sur les tenues que le piano ne permet pas.
L’ensemble fait penser à un clavecin moelleux et surréaliste, telle une montre molle de Salvador Dali qui nous introduit dans une nouvelle conception du temps et modifie profondément notre écoute.
C'est une marginalité juste, celle qui n'est pas frustration ou incomplétude, mais fertilité et courage, celle dont on a besoin comme d'un levain. Pressant les possibilités de l’accordéon hors des sentiers battus, Fanny Vicens dessine, par un immense archet d’air, les lignes architectoniques de la forme globale. Elle renouvelle notre regard sur ce qui semblait être une terra cognita et redynamise un chef-d'œuvre, changeant son genre pour mieux épouser son identité profonde, le rendant mobile, contemporain et donc vivant.
Voir aussi Discographie et SHOP
Variations Goldberg
Programme 1
J. S. Bach – Goldberg Variations BWV 988
Programme 2
J. S. Bach – Goldberg Variations BWV 988 & Œuvres contemporaines
Une touche d’air
Texte de Michel Petrossian
De nos jours, il est rare qu’une approche inédite renouvelle notre écoute d’une œuvre célèbre. Lorsque cela se produit, c’est presque toujours grâce à un retour en arrière : instruments d’époque, tempéraments d’antan, traités musicaux redécouverts… Fanny Vicens a fait le chemin inverse.
Elle a l’audace de nous proposer les Variations Goldberg sur un instrument postérieur de plus d’un siècle à l’écriture de l’œuvre. Pourtant, il ne s’agit pas là d’une adaptation mais d’un transfert, d’une translittération qui reste entièrement fidèle au texte. La musicienne se situe sur un chemin en miroir : l’œuvre agit comme révélateur de l’instrument, et la nature de l’instrument épouse l’intention de l’auteur qui écrit explicitement pour un clavecin à deux claviers. Cette précision est rendue nécessaire en raison de fréquentes superpositions et croisements des mains, et l’interprétation à l’accordéon, avec ses claviers stéréophoniques, révèle une réalité sonore spatialisée contenue dans l’écriture contrapuntique de Bach.
Le parcours de Fanny Vicens nous éclaire par ailleurs sur deux modalités de perception qui sont activées chez elle en permanence. Pianiste accomplie, c’est en tant qu’accordéoniste qu’elle suit des cours d'interprétation historiquement informée de la musique baroque. Deux concepts de son, antinomiques malgré le principe commun du clavier qui les régit, habitent simultanément l’espace imaginaire de cette musicienne singulière. Le son du piano, fait d’attaque et de résonance qui échappe à l’interprète est placé en vis-à-vis avec la plasticité de l’accordéon qui offre au son la possibilité d’être modulé (ou enflé, comme Couperin l’appelle de ses vœux !).
C’est cette complémentarité, cette tension de deux désirs que l’enregistrement de Fanny Vicens résout ici.
Il en résulte une conduite des voix incomparable, une transparence des plans sonores et une qualité expressive grâce à la variation continue de l'intensité. Cette dernière dimension hantait manifestement Glenn Gould dans ses fameuses versions. Sa façon de chantonner est précisément une manière d'exprimer la variation d'intensité sur les tenues que le piano ne permet pas.
L’ensemble fait penser à un clavecin moelleux et surréaliste, telle une montre molle de Salvador Dali qui nous introduit dans une nouvelle conception du temps et modifie profondément notre écoute.
C'est une marginalité juste, celle qui n'est pas frustration ou incomplétude, mais fertilité et courage, celle dont on a besoin comme d'un levain. Pressant les possibilités de l’accordéon hors des sentiers battus, Fanny Vicens dessine, par un immense archet d’air, les lignes architectoniques de la forme globale. Elle renouvelle notre regard sur ce qui semblait être une terra cognita et redynamise un chef-d'œuvre, changeant son genre pour mieux épouser son identité profonde, le rendant mobile, contemporain et donc vivant.
Voir aussi Discographie et SHOP
FANNY VICENS
ACCORDEONISTE & PIANISTE